Au temps où il existait déjà des rivières, mais beaucoup moins de ponts que maintenant pour les traverser, un voyageur marchait le long d’une de ces rivières, en cherchant un endroit propice à la traverse.
C’est ainsi qu’il rencontra un pêcheur, très pauvrement vêtu, qui pêchait à côté d’un canot à l’amarre. Il lui demanda combien coûtait la traversée de la rivière.
– Une pièce d’or, répondit le pêcheur.
– C’est cher, mais je n’ai pas le choix. C’est entendu. Allons-y.
Sans rien dire, le passeur lui fit signe de monter dans le canot, s’y installa à sa suite, dénoua l’amarre et s’assit calmement. Immédiatement, le canot se mit à dériver, le courant étant rapide. Le passeur ne faisait absolument rien.
Surpris, assez inquiet de ce comportement et un peu en colère, le voyageur saisit les rames et commença à ramer. C’est alors que le passeur s’anima:
– Pas par là, il y a un rapide…
– Attention, pas par là, il y a un haut fond…
– Moins vite, il faut dépasser ce rocher…
Et de la sorte, ils parvinrent effectivement de l’autre côté de la rivière. Lorsqu’ils eurent débarqué, le voyageur regarda le passeur et lui dit:
– Je ne devrais pas te payer cette pièce d’or. Tu n’as pas fait ton travail.
– Ce n’est pas tout-à-fait juste, rétorqua le passeur. Nous n’avons jamais convenu que je devais ramer, et sans mes indications, vous ne seriez surement pas au sec en train me refuser le prix du passage!
– Ce n’est pas tout-à-fait faux, admit le voyageur. Puis, ayant réfléchi…
Allons, je te donne cette pièce d’or. Disons alors que ce n’est pas parce que tu l’as méritée, mais pour qu’elle serve à l’entretien de ton canot.
Le pêcheur sourit, empocha la pièce d’or, et ajouta:
– C’est bien aimable à vous de penser au canot, mais pour être tout-à-fait précis, il faut quand même que je vous dise: ce canot ne m’appartient pas.