Deux moines marchaient côte à côte, longeant une rivière. C’étaient un vieux moine et un jeune moine, et ils se rendaient à un monastère situé assez loin en aval.
Le jeune moine, qui était très consciencieux – et un clin d’oeil à Ooshi en passant, mine de rien – récitait des prières en marchant, comme il est prescrit dans la Règle. Le vieux moine, lui, simplement, marchait.
A une courbe de la rivière, ils atteignirent un gué. Là, attendait une jeune femme très jolie et très bien habillée qui leur demanda fort civilement de bien vouloir l’aider à traverser la rivière, parce qu’elle ne voulait pas mouiller ses beaux habits. Le jeune moine s’excusa poliment mais dignement, et répondit que la Règle lui interdisait de toucher une femme, qu’il en était bien désolé, mais qu’il ne pouvait rompre ses vœux et que c’était donc impossible.
Le vieux moine, lui, sans rien dire, remonta sa robe de moine sur ses vieilles jambes maigres et poilues, la noua autour de sa taille avec sa cordelette de lin, prit la jeune femme dans ses bras et lui fit ainsi traverser la rivière. Parvenue de l’autre côté, elle s’inclina et le remercia très aimablement. Sans rien dire, le vieux moine s’inclina pour prendre congé et retraversa la rivière. Après quoi, il remit sa robe en ordre et les deux compères poursuivirent leur chemin.
Mais, au bout d’un long temps de silence, le plus jeune prit la parole:
– Dites, mon frère, la Règle interdit bien de toucher une femme ?
– Oui.
– Donc, j’ai eu raison de refuser de la faire traverser ?
– Oui.
– … donc, en quelque sorte, si je comprends bien (et arrêtez-moi si je me trompe), vous avez pour ainsi dire enfreint la Règle?
Le vieux moine alors s’arrêta de marcher et, d’un œil amusé, regarda son jeune condisciple:
– Écoute, mon petit, tu te rends compte que ça va faire bientôt deux heures que je l’ai portée de l’autre côté de la rivière… et toi, tu la portes encore?!!