Un renard se trouva un jour nez-à nez dans un bois avec un jeune lapin.
– Qui es-tu, interrogea le lapin?
– Je suis un renard, et si je voulais, je pourrais te manger.
– Comment peux-tu me prouver que tu es un renard, insista le lapin?
Le renard ne sut que répondre… Toujours, jusqu’ici, les lapins s’étaient enfuis à son approche sans demander leur reste. Mais le jeunot insista:
– Si tu peux me montrer un acte officiel prouvant que tu es bien ce que tu dis, alors je te croirai.
Le renard fila chez le lion qui lui remit un certificat en bonne et due forme. Lorsqu’il fut de retour dans la clairière où l’attendait le lapin, il entreprit de lire à haute voix le document qui certifiait qu’il était bien un renard.
Il en trouva les termes si flatteurs pour lui qu’il s’attarda sur chaque paragraphe avec délectation sans remarquer que son interlocuteur avait déjà déguerpi. Dès les premières phrases, en effet, le lapin avait compris et sans attendre la suite, s’était mis à l’abri dans son terrier. Personne n’entendit plus jamais parler de lui!
Le renard s’en retourna à la tanière du lion. Une biche était là qui parlait au fauve.
– Je demande à voir, disait-elle, un document attestant que tu es bien un lion.
– Quand je n’ai pas faim, je n’ai pas besoin de me soucier d’en fournir la preuve à qui que ce soit, répondit celui-ci. Et quand j’ai faim, c’est toi qui n’a pas besoin de preuve écrite.
Le Renard se tourna vers le lion:
– Pourquoi ne m’as-tu pas dit de parler ainsi lorsque je suis venu te trouver pour le lapin?
– Ah, mon cher ami, tu aurais du me préciser alors que le demandeur était un lapin! J’ai pensé qu’il ne pouvait s’agir que d’un de ces stupides humains auprès de qui les lapins ont appris à se livrer à ce passe-temps futile!
Note: Dans la tradition Soufie, ce texte (d’origine arabe) a été raconté par Idries Shah dans La Sagesse des Idiots, (Courrier du Livre éd.). Cette histoire enseignement traite bien sûr en apparence de la question de l’identité, mais entend aussi montrer comment la fonction mentale intellect est capable de créer de toutes pièces des complexités d’apparence philosophique sérieuse, mais dont l’intérêt s’effondre dès qu’elles sont mises à l’épreuve des faits.
Envisagée dans la tradition Zen, à l’instar des soufis, l’image qui est employée pour décrire le caractère insaisissable de la réalité, face au concept verbal d’identité, est celle de ‘l’idiot’ qui essaye d’attraper l’eau avec une seule main. Certes, cela semble possible lorsqu’elle est gelée ou à l’état de neige. Mais seul un ‘idiot’ pourrait confondre la glace, la neige et l’eau. Aux niveaux des mots, tout est dans tout et réciproquement. Aux niveaux silencieux, il est prudent de vérifier ses perceptions, mais il n’y a rien à discuter avant d’avoir établi les faits.