La psychologie bouddhiste définit les émotions perturbatrices comme des configurations mentales composantes/résultantes d’un «ego» capables d’affecter l’organisme tout entier. Ce terme «ego» désigne de façon précise une pure production de l’esprit.
Avant de poursuivre, rappelez vous du vocabulaire: le terme «esprit» est employé ici pour désigner l’activité mentale, activité de l’organisme-comme-un-tout-dans–ses-environnements. Et comme nous n’avons pas ce concept, en psychologie ordinaire occidentale, nous avons tendance à fonctionner comme s’il n’existait rien de tel à observer.
Dans toutes les traditions orientales dérivant de l’Inde classique, la Maya de l’esprit désigne la capacité fonctionnelle de l’esprit ordinaire à s’auto-illusionner et à être complètement aveugle à ce processus!
Compte tenu du fonctionnement organique des différents niveaux d’attention-conscience, sans apprentissage ni entraînement, tous les événements mentaux et articulations mentales sont automatiquement et inconsciemment projetées sur les objets du monde extérieur, accompagnés du verbe être qui signe le processus d’identification par non-discernement. C’est dans ce sens précis que les bouddhistes parlent d’un «monde illusoire».
Sur la base de ces perceptions, le phénomène mental naturel «ego» se construit une illusion de permanence, qu’il identifie (même sens qu’en S.G.) à tort à l’idée de «ma personnalité», «mon identité», «ma nature», etc. L’archétype du genre serait Tarzan se frappant la poitrine en hurlant: «Ça, c’est moi!» L’ego va même jusqu’à se mettre en scène lorsqu’il raconte l’Histoire de sa Vie, autrement dit, son autobiographie.
Cette définition correspond aux expressions du langage courant employant le verbe «être» du genre: je suis en colère, je suis jaloux, mais aussi je doute, je pense que… etc. mais aussi le verbe avoir! avec des formulations du genre j’ai des émotions, j’ai des sensations, j’ai telle maladie, etc.
Lorsque nous cherchons (en méditation par exemple) à trouver de façon méthodique, scientifique et logique à quel genre de territoire correspond la carte «esprit» ou «ego» ou «mental», il est impossible d’accrocher à ces cartes la perception même subtile d’un territoire quelconque, même immatériel.
Notre recherche consiste alors à observer de façon féroce et méthodique, la façon dont l’esprit ordinaire produit ex nihilo une sorte d’illusion, d’hallucination, de fantasme que nous pourrions désigner par Moi-je-qui-se-prend-pour-Quelqu’un, un fantôme hors conscience qui se croit vivant en éprouvant dans les dimensions de conscience et d’inconscience corporelle les sensations, les émotions, les sentiments, les intuitions et les pensées.
En état méditatif, nous pouvons facilement observer une sorte d’éternité implicite dans l’emploi du verbe être (cf le concept d’âme immortelle dans le christianisme) directement lié à la fabrication de ce sentiment de permanence qui fonctionne comme une véritable auto-hallucination, une auto-hypnose de grande qualité, très difficile à observer en conditions d’esprit ordinaire, c’est à dire entre la poire et le fromage, ou sur le mode métro-boulot-dodo.
L’usage correct de la Sémantique Générale donne une clé de compréhension importante dans la mesure où nous distinguons d’une part, l’existence objective et matériellement visible de «moi» (l’organisme-comme-un-tout-dans–ses-environnements) aux niveaux silencieux, et d’autre part, l’existence de la verbalisation immatérielle «je» qui ne fait que désigner aux niveaux verbaux ce qui se passe aux niveaux silencieux.
Dans cette mesure, la réflexivité linguistique «je me» constitue le symptôme verbal caractéristique et révélateur de cette auto-hallucination d’un «je» qui pourrait demander quoique ce soit à un «me», et obtenir une réponse… Sommet d’absurdité obtenu avec la formulation «Je me comprends»!
Chaque fois que «je» n’est ni daté, ni indexé, ce piège de l’identification à un «moi» (esprit, âme, etc.) permanent et éternel qui vit sa vie dans un «corps» périssable est techniquement en place. Par exemple, la formulation: «Lorsque j’avais dix ans…» doit être indexée en «Lorsque je (moi octobre 1963) avais 10 ans…» En effet, le «moi» qui s’exprime (ici-maintenant) en disant «je» (ici-maintenant) et ne doit en aucun cas être inconsciemment confondu avec je (moi octobre 1963).
Quant à l’illusion de permanence, elle repose sur le constat classique que tous les événements du monde sensible sont en changement constant, ce pour quoi les bouddhistes ont inventé le concept d’impermanence, si inconnu du système de pensée occidental qu’il ne figure dans aucun dictionnaire. Quant aux soufis, ils enseignent qu’elle correspond à un aveuglement pathologique qui témoigne de l’inlassable et permanente activité du Grand Magicien, à savoir l’activité de l’esprit ordinaire capable de générer de façon organique toutes les auto-hallucinations précitées.
Une seconde distinction essentielle doit être faite entre «la douleur» et «la souffrance». Le concept «douleur» désigne un ensemble organique et silencieux de phénomènes d’ordre premier. La «souffrance» peut-être définie comme la douleur de la douleur, autrement dit, une construction mentale de second ordre qui constitue une interprétation de la douleur.
À ce titre, l’enseignement bouddhiste considère la douleur au même titre que la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort, à savoir des processus organiques qui caractérisent et conditionnent l’existence humaine et animale.
C’est pourquoi il ne travaille que sur les méthodes de libération de la souffrance et pas sur la libération de la douleur, ce qui ne signifierait rien en système bouddhiste. En revanche, la chimie pharmaceutique occidentale peut agir pour atténuer la douleur, mais se trouve impuissante (faute de praxis opératoire) à travailler correctement à propos de la souffrance.
Le fait de parvenir à quitter la fascination de cette auto-illusion-hallucination est vécu par les pratiquants bouddhistes et soufis comme une authentique «libération» (qui signifie devenir libre, sans entrave, sans attache, qui a donné le nom de «Voie du non-attachement»).
Cette libération constitue pour eux une étape essentielle de la «réalisation» (qui signifie devenir réel, c’est-à-dire sans illusion, sans ignorance). Cette non-ignorance s’appelle aussi la «connaissance», d’où le nom de «Hommes et Femmes de Connaissance» que se sont donnés depuis quelques trois milliers d’années, à la suite des sorciers et des shamans des temps anciens, les praticiens du Travail Intérieur.