L’esprit peut être considéré comme un instrument qui fonctionne à plusieurs niveaux,
Tant que nous sommes inconscients de l’instrument, et de ses niveaux de fonctionnements, il n’existe pratiquement que des approximations et que des confusions. Autrement dit, en l’absence de certitude suffisante, aucune espèce de paix possible.
En matière de cuisine, je prétends que je sais qu’en mélangeant de la farine, un œuf, du beurre et de l’eau, je peux faire de la pâte à tarte. Faire l’hypothèse qu’il existe un esprit capable de savoir, ici, couvre:
– le fait que j’ai appris la recette,
– le fait que je m’en souvienne,
– le fait que je réunisse les ingrédients corrects,
– le fait que je vérifie qu’ils sont comestibles,
– le fait que je réalise le mélange dans le bon ordre, etc…
Lorsque je commence effectivement à réaliser une pâte à tarte, je ne me pose pas la question de savoir si je peux faire confiance à mon esprit pour tout ce qui précède. Je suppose que tout ce qui précède est en place par définition. J’inclus même la possibilité d’un aléa, ou d’une erreur, ce qui est prudent et donne une valeur plus mesurée à mes suppositions… Aussi vais-je vérifier, presque sans y songer, que:
– la recette dont je me souviens est correcte,
– que mon souvenir aussi est correct,
– qu’il ne me manque aucun ingrédient,
– que ces derniers sont effectivement comestibles, etc…
Je suppose même et surtout (presque toujours de façon non directement consciente) que l’instrument (l’organe interne ) qui effectue les suppositions et les vérifications fonctionne lui-même correctement, et que je peux donc lui (je vais dire me ) faire confiance.
Cette distinction subtile a amené les psycho-théologiens de l’Inde classique à désigner par ahamkara la partie de totalité qui correspond à « je » (aham en sanscrit) dans les lignes qui précèdent, et à nommer antahkarana l’organe interne en question. Motif: un mot pour chaque chose.
Or, cette distinction verbale n’existe pas en occident, puisque nous ne disposons que du vocable « je » pour désigner tous les aspects de ce que ce terme est censé désigner.
La structure même de notre langage implique et explique donc aussi bien notre ignorance de la possibilité-même de perception de ces deux modalités de fonctionnement mental que les confusions constantes entre leurs niveaux de fonctionnement qui sont radicalement différents..
C’est un peu comme si, pour désigner une cuillère et une fourchette, je ne disposais en tout et pour tout que du mot couteau.
Il existe donc un ordre à respecter dans la découverte du processus mental:
1°) postuler, puis expérimenter que sous le seul vocable « je » se cache un « plusieurs ».
2°) remarquer que le processus qui consiste à sentir n’est pas celui qui consiste à percevoir.
3°) remarquer que le processus qui consiste à percevoir n’est pas celui qui interprète et ordonne le contenu de la perception.
4°) remarquer que le processus qui consiste à interpréter et à ordonner le contenu de la perception n’est pas celui qui consiste à penser à propos de celle-ci.
5°) remarquer que tout ceci est d’ordre plus-ou-moins conscient et plus ou moins inconscient.
6°) remarquer que si je puis observer tout ceci, ce « je »-là relève d’un autre niveau de conscience, à moins qu’il ne s’agisse de l’image d’un miroir dans un autre miroir…