On raconte qu’au temps du règne de Tokuda, un dénommé Seiji, samouraï comme il en existait tant à l’époque, entreprit de devenir le meilleur combattant au sabre qui se put trouver.
Longtemps, longtemps, il perfectionna sa technique et travailla dans les meilleures salles d’entraînement. Il était déjà très habile, mais avec l’entraînement, il devint très fort.
Puis vint le moment où il s’aperçut que les salles d’entraînement ne lui suffisaient plus. Sa renommée était grande et plus personne ne tenait plus vraiment à l’affronter sérieusement. Il était trop dangereux, même pour des partenaires d’entraînement chevronnés. Il maîtrisait toutes les techniques connues et il commençait à s’ennuyer. De plus, ayant envie de vrais combats, il décida de faire le voyage pour aller trouver Musashi, le Maître incontesté en la matière.
Double avantage, se disait-il… Le voyage sera long et difficile, et j’aurais sûrement l’occasion de rencontrer des brigands pour me battre. Et enfin, je ne peux pas trouver de meilleur maître que Musashi. Nul doute qu’il acceptera de m’enseigner.
Les choses se passèrent au début très normalement. Au cours de son voyage, il rencontra effectivement beaucoup de brigands; il leur fit la vie dure, et la mort rapide. Puis il arriva dans le village où il savait pouvoir trouver Musashi. Ce dernier accepta de le recevoir. Il l’écouta attentivement et l’observa beaucoup, mais finalement, se refusa à lui enseigner quoique ce fût.
– Ta renommée est trop grande, Seiji san, lui dit Musashi. Que pourrais-je t’apprendre de plus que tu ne connaisses déjà? Mais je connais quelqu’un qui est beaucoup plus fort que moi. Tu le trouveras à mi-chemin entre la vallée et la montagne, à quatre jours de marche d’ici. Il se nomme Yuan Kuan.
Seiji remercia Musashi, très fier que sa renommée soit parvenue jusqu’à Musashi, et encore plus fier que ce dernier ait refusé un combat contre lui. A mi-chemin de la vallée et de la montagne, il chercha donc, dans ce qui était un vrai désert, la demeure du Maître que lui avait indiqué Musashi.
En désespoir de cause, au terme de trois jours de recherches infructueuses, il demanda conseil à un vieux paysan sale et rabougri qui s’abritait dans une cabane de bois, près d’un petit lac.
– Yuan Kuan? On m’appelle comme ça, c’est vrai. Que veux-tu?
Seiji faillit s’étrangler intérieurement de surprise, tant l’aspect du bonhomme correspondait peu à l’image qu’il se faisait d’un Maître, mais annonça cependant qu’il venait de la part de Musashi et expliqua ce qu’il voulait.
– Tu veux apprendre? Montre-moi ce que tu sais faire.
Le vieux s’assit par terre et attendit.
Après s’être préparé, Seiji fit une éblouissante démonstration d’un combat contre trois adversaires. Lorsqu’il eut terminé;
– C’est bien! C’est très bien! C’est tout ce que tu sais faire?
– Oh non! Je peux vous montrer….
– Non. Pas aujourd’hui. Il est trop tard. Nous verrons cela demain.
Et le vieux le pria d’aller chercher du bois. A la fin de la journée, lorsque Seiji revint, le vieux s’était endormi en contemplant les nuages. Le lendemain, Seiji fit une démonstration d’un combat avec un sabre et un bâton, contre quatre adversaires. Lorsqu’il eut terminé;
– C’est bien! C’est très bien! C’est tout ce que tu sais faire?
– Bien sûr que non! …. Je sais aussi…
– Non. Pas aujourd’hui. Il est trop tard. Nous verrons cela demain.
Et le vieux l’envoya braconner, car il n’y avait plus rien à manger. Une semaine encore passa ainsi. Le vieux ne desserrait pas les dents, sauf pour le complimenter à l’issue d’un exercice matinal. Ou bien, pire encore, il passait son temps à raconter des histoires ou à parler de choses qui n’avaient rien à voir avec avec le combat au sabre, par exemple de certains souvenirs un peu salaces qu’il avait ramené des maisons de passe de Kyoto.
Au bout de la semaine, à force de faire le ménage, d’aller à la pêche et de fumer les poissons, le moral de Seiji commençait sérieusement à s’étioler… Et c’est ainsi qu’un soir, à bout de nerf, il se mit en colère et apostropha le vieillard:
– Je ne sais vraiment pas pourquoi Musashi m’a envoyé te voir. Tu n’es qu’un vieillard débile qui ne sait que raconter n’importe quoi. Depuis que je suis arrivé, tu ne m’as rien appris. Tu m’as juste dit que ce je sais faire est très bien, et je le savais déjà.
– Tu veux un vrai combat, demanda Yuan Kuan?
– Oui. Bien que tu sois vieux et faible, je mérite ce combat. Et si tu n’es pas celui que tu prétends être…
Yuan Kuan plissa les yeux et répondit:
– Ça, je n’en suis pas bien sûr…
Quel est le but d’un combat?
– Vaincre, répondit sans hésiter Seiji.
Le lendemain matin, le vieux était déjà levé et coupait du petit bois devant la maisonnette lorsque Seiji, propre et habillé pour le combat, vint le saluer, comme tous les matins.
Mais au lieu de saluer Seiji, comme tous les matins, le vieillard lui asséna un violent coup de sa canne sur le nez, et le sang et les larmes jaillirent aussitôt, aveuglant le samouraï. Immédiatement, il termina l’affaire par un magistral coup de pied dans les parties génitales du guerrier, et il laissa ce dernier recroquevillé par terre et geignant de douleur.
– J’ai bien réfléchi, dit le vieux Yuan Kuan en se rasseyant pour continuer à couper son bois. Je crois que tu as raison, finalement. Le but du combat, c’est vaincre. Je n’ai donc rien à t’apprendre de particulier.
On dit que ce n’est qu’à partir de ce jour là que Seiji accepta de prendre l’attitude intérieure correcte pour apprendre, et que Maître Yuan Kuan accepta de lui enseigner l’art du combat.