Nazinda dit: Je ne sais pas

Au grand désarroi de beaucoup de ses élèves, Nazinda, derviche errant de Boukhara au XVIème siècle, répondait très souvent aux questions qui lui étaient posées en répondant: «Je ne sais pas.»

Une discussion s’engagea un jour entre ceux qui disaient qu’un maître ne devrait jamais avouer son ignorance, ceux qui pensaient que celui-là était, de son propre aveu, effectivement ignorant et que ce n’était donc pas la peine d’en parler, ceux qui pensaient qu’il connaissait la réponse mais qu’il ne voulait pas répondre, et ceux qui soutenaient divers autres points de vue.

En désespoir de cause, les arguments des uns et des autres furent soumis au pandit (lettré et logicien hindou) Ram Lal, qui fit ce commentaire:

– Quand il dit: «Je ne sais pas», il peut vouloir dire que personne ne sait.

Il peut signifier également que la question posée est dépourvue de contexte particulier, ce qui implique une réponse sans contexte particulier.

Il peut faire remarquer que la question confond indistinctement plusieurs niveaux de discours ou d’expérience différents; en ce cas, «je ne sais pas» constitue une réponse correcte qui refuse et le mélange, et l’inconscience de celui qui pose la question.

Il peut vouloir dire aussi qu’il n’a pas besoin de savoir, parce que la façon dont la question lui est présentée est fallacieuse…et qu’en ce cas, ça ne l’intéresse pas.

Il peut vouloir dire encore que vous ne savez pas et à ce moment-là, il vous renvoie à trouver votre réponse vous-mêmes.

– Si tu vois juste, demanda quelqu’un, pourquoi ne s’exprime-t-il pas de façon plus explicite?
– S’il le faisait, dit Ram Lal, il cesserait de provoquer la réflexion et la discussion.
– Et à quoi cela sert-il?
– Cela sert à ce qu’il y ait au moins une chance que tu puisses te poser au moins une fois ce genre de question.

 

D’après Idriesh Shah, Contes initiatiques des Soufis p.61, Editions du Rocher 1993.