Le processus complet de la «prise de conscience[1]» n’est pas limité aux seuls registres intellectuels et conscients. Il implique des modifications cellulaires qui affectent l’ensemble des fonctionnements conscients et inconscients de l’organisme-comme-un-tout-dans-ses-environnements. À ce titre, les dimensions de conscience corporelle du Travail Intérieur doivent être sérieusement considérées puisqu’elles constituent la plus grande partie des environnements internes.
Ignorances fondamentales
Faute d’éducation à l’intériorisation, notre ‘esprit (organisation mentale) ordinaire’ n’a pas l’habitude d’écouter ni de reconnaître les messages-sensations qu’il produit comme des événements intérieurs. Nous sommes censés ‘savoir’ que nos perceptions s’alimentent de nos 5 sens officiels (goût, odorat, toucher, vue audition) qui réagissent aux stimuli externes.
Le fonctionnement ‘normal’ des sensations se produit d’abord sur le registre instinctif. Leur rôle consiste à renseigner notre organisation mentale le plus immédiatement et le plus efficacement possible sur des questions de survie simple: «Est-ce que c’est dangereux, ou pas?» Si oui, «Stop. On arrête tout.» Et si ce n’est pas dangereux, «Est-ce que ça vaut la peine de goûter?» Et si la réponse est oui, «Est ce que c’est bon, ou pas?». Pour bien comprendre cette idée, il faut se rappeler que «instinct, instant, station et état» ont la même racine étymologique. Nous pouvons résumer cela par une verbalisation du genre: «L’instinct» me renvoie à ce que je perçois de la perception de mes sensations brutes et directes lorsque je me tiens debout ici-maintenant. Un ensemble de réactions directement conditionnés par des éléments inconscients et génétiquement hérités aux niveaux silencieux.» En Sémantique Générale, nous appelons ce registre de perception[2] qui existe aux niveaux silencieux une réaction d’ordre premier.
Une personne n’ayant pas appris à retourner son attention vers l’intérieur ni à observer ses sensations d’ordre premier (≈20%) fonctionne normalement en inconscience corporelle à propos de la plupart des processus mentaux. Elle ignore presque toujours un second registre de perception beaucoup plus important (≈80%), lequel enregistre et traite les sensations produites, non par le monde extérieur mais, par l’organisation mentale[3]. Nous les appelons en SG les réactions d’ordre second parce qu’il s’agit des réactions aux sensations d’ordre premier qui constituent leur source. Il s’agit des émotions, des sentiments, des intuitions, mais aussi de tous les conditionnements devenus cellulaires et organiques, de toutes les interprétations intellectuelles possibles, de tous les commentaires à propos etc. même des sensations nouvelles (d’ordre second) qu’engendrent ces phénomènes mentaux. Ni bien ni mal tout cela; simplement, notre organisation mentale fonctionne ainsi.
Nos conditionnements collectifs ordinaires
L’ordre moral chrétien dont nous sommes culturellement issus a procédé au fil des siècles à une diabolisation des processus mentaux qui ont un rapport quelconque avec les contextes corporels et sexuels. Cette tradition considère ‘Le Corps’ comme lieu de toutes les tentations et turpitudes, de tous les péchés et indignités, de toutes les difficultés et toutes les souffrances et donc de toutes les damnations. Seule l’âme désincarnée, susceptible de rencontrer «Dieu», et l’esprit qui produit l’intelligence pour y parvenir, sont un peu respectables.
Dans cette logique de dévaluation, qui tient son modèle d’intelligence stratégique de la tête de l’autruche dans le sable, plus nous ignorons (involontairement) ou même dénions (volontairement) l’existence de ces domaines corporels, moins nous risquons d’en souffrir. Ce fonctionnement a été nommé par Freud «processus de refoulement».
Ce régime anesthésique sert à ne pas sentir nos multiples petites et grandes douleurs ordinaires et quotidiennes. Par ailleurs, nous sommes conditionnés à ne pas ne différencier la douleur de la souffrance. Par conséquent, l’alcool, les drogues, le jeu, la télévision, la religion, le sexe, le sport intensif, l’informatique, les jeux vidéo et/ou n’importe quelle idée fixe viennent compenser le déni, l’évitement et le refoulement. À la suite, répétition et haute dose originent et formatent les processus d’addiction.
Et c’est cela que notre activité mentale ordinaire (sous sa forme ego) s’efforce par tous les moyens d’éviter de voir et de perce-voir. À ces niveaux interprétatifs, nous sommes les héritiers inconscients directs des puritanismes protestants et catholiques, et à ce jour (en 2008), nous ne sommes pas du tout sortis de ce conditionnement mental collectif. Au niveau des personnes, malgré la publicité et la pornographie ordinaires, les inconsciences individuelles et collectives qui régnaient au temps de Freud en 1910 et qui datent de bien avant lui n’ont pas vraiment changé.
Le discours chrétien traditionnel hérité du judaïsme nous conduit toujours à un angélisme volontariste sur fond d’une sorte de dépossession/dépression très spéciale que j’appelle l’anesthésie institutionnelle. Il s’agit d’une norme partagée par le plus grand nombre d’autant plus puissante et efficace qu’elle est inconsciente. Cette norme repose sur la notion du Péché Originel et fonctionne comme un trio infernal de 3 sentiments: indignité, impuissance et culpabilité.
Pas du tout sur la même longueur d’ondes, le discours bouddhiste traditionnel insiste sur la nécessité d’apprendre à apprendre conscience[4] que notre réalité objective et fondamentale s’appelle la souffrance, qu’elle a pour racine notre ignorance du fonctionnement ordinaire de notre esprit et qu’elle s’exprime de façon égale au cours des changements d’existence que sont la naissance, la vie quotidienne, la maladie, la vieillesse et la mort.
Transition de conscience délicate
Le Travail Intérieur constitue un entraînement à la liberté intérieure. Il sert notamment à comprendre comment admettre la ‘réalité fonctionnelle’ de la souffrance et à l’intégrer à l’existence sans que notre organisation mentale se trouve affecté(e), dérangé(e), déstabilisé(e) ou détruit(e) chaque fois qu’une douleur ou une souffrance se produit. Le résultat s’appelle alors l’équanimité, à savoir la capacité de traiter les événements intérieurs et extérieurs qui adviennent sans interprétation de valeur, et sans déranger les fonctionnements de l’esprit ordinaire, de façon que la conscience d’éveil reste à la direction des opérations. Cette combinaison habile s’appelle: «Lâcher prise et Laisser advenir».
Parce qu’elle rend temporairement inefficaces les processus d’interprétation intellectuelle et de jugement moral, la méthode du Massage du Calme Mental® (MCM) permet de franchir la barrière d’inconscience conditionnée et d’entrer en contact direct avec la perception des sensations. Ce contact initie le processus de développement de la conscience corporelle qui fonde le sentiment de sécurité ontologique, que la psychologie nomme «confiance en soi» ou encore «estime de soi», sans d’ailleurs pouvoir préciser ni comprendre, faute de verbalisation structurellement correcte, qui fait confiance à qui, qui estime qui…
Le fonctionnement d’inconscience corporelle semi-anesthésique dans lequel une personne arrive à une première séance de MCM lui permettait en configuration d’esprit ordinaire des sensations vagues, approximatives. Cet «état» mental plutôt insensible fabriquait aussi en compensation (avant la séance) les regrets qui vont avec l’obscure et vague conscience que «ça ne marche pas vraiment comme il faut», que «l’orgasme devrait être mieux ou plus fort», que certaines joies, gastronomiques ou autres, sont «bien futiles ou évanescentes», vanitas vanitatum etc., et «après tout, qu’est-ce qu’on y peut, on ne se refait pas, c’est la vie…» etc.
Arrêter les compensations
Cette personne qui va s’entraîner à développer sa conscience corporelle va donc se retrouver dans une situation un peu délicate qui peut durer autant qu’elle restera inconsciente du processus de compensation physiologique suivant: lorsque le régime mental anesthésique sur lequel elle fonctionnait diminue ou s’arrête, l’intensité des perceptions augmente en effet de façon proportionnelle. Elle ressent plus intensément et précisément ce qui lui advient et qu’elle trouve agréable ou occasion de jouissance, mais aussi tout ce qu’elle trouve désagréable ou occasion de souffrance. Le plaisir et la douleur vont augmenter ensemble. La capacité de sentir (la fonction sensation) fonctionne en effet de façon neutre et semblable dans les deux cas.[5]
En langage poétique, ce qui se produit pendant le Massage du Calme Mental (MCM.) est de l’ordre d’une lumière de conscience qui éclaire brusquement depuis l’intérieur un volume (corporel) habituellement opaque ou brouillardeux. Lorsque ‘s’ouvre’ la conscience corporelle, cette personne-là va donc quitter un «état» de sclérose ou de léthargie perceptive dans lequel elle ne sentait certes pas grand chose mais qu’elle ressentait comme un peu sécurisante, même si ses zones d’inconfort étaient par ailleurs nombreuses (lumbagos, crises de foie, érythèmes, psoriasis, cystites et autres maux de têtes associés à des angoisses, insomnies et phobies diverses etc.). Elle va passer parfois de façon assez soudaine à un «processus» vivant dans lequel les sensations agréables et désagréables se succèdent à un rythme qui semble très rapide, pas très ordonné, et donc plutôt insécurisant.
La mise sous cloche anesthésique qui se paye au prix de nombreux désagréments psychosomatiques s’accompagne d’une pseudo-stabilité faussement sécurisante que les Tibétains et les Soufis nomment la «pétrification de l’ego». Celle-ci va disparaître au profit de l’impression puissante, vivante et parfois désagréable d’avoir perdu les repères précédents qui avaient été si longs à mettre en place et qui avaient permis de vivre jusque là, malgré tout. Car les douleurs qui avaient été si bien tenues à l’écart pourront redevenir pour un temps sensibles alors même que le système de perception équanime qui est destiné à remplacer le système anesthésique n’a pas encore eu le temps de se mettre en place de façon automatique.
Une fois de plus, lorsqu’un mot nous manque en français, nous ignorons et le concept, et les réalités auxquelles il peut renvoyer. C’est ainsi le terme moment intermédiaire de transformation a été créé pour exprimer ce dont je suis en train de parler. Chez les Tibétains, il porte de nom de «Bardo», pour les Soufis, il porte le nom de «Fana», et chez les taoïstes chinois, il porte le nom de «Yi»: comme dans Yi King, le Livre des Transformations.
Application au Massage du Calme Mental
Cette phase difficile a été décrite par Jung comme rythmant le processus d’individuation. Elle peut se produire quelques fois au cours du Travail Intérieur. Le Massage du Calme Mental permet de repérer et de distinguer plusieurs mécanismes mentaux fréquents.
1°) Soulagement: le premier ressenti qui suit un MCM est dans presque tous les cas que j’ai rencontrés une sorte d’intense et profond soulagement qui dépasse de très loin le résultat de n’importe quelle technique de massage de relaxation ordinaire ou même thérapeutique. Au cours du MCM, l’Inquisition Intérieure, le Torquemada, le Contrôleur, la Flicaille de Service, le Bourreau Personnel (quel que soit le nom que quelqu’un(e) donne à cette configuration mentale), est littéralement poussé de côté et temporairement dépossédé de son pouvoir de contrôle mental par le placement énergétique correct des attentions. Dès que les nuages sont partis ou dissipés, le soleil resplendit, disent les textes anciens qui traitent de pédagogie de la méditation. La piste étant libérée, la conscience corporelle qui ne fonctionne pas d’habitude se trouve en état de ‘voir clair’ sans avoir à produire aucun effort.
2°) Dépres-stop! L’interruption du Stress Longue Durée pendant la séance de MCM produit presque toujours des sentiments d’allègement, d’oxygénation, de nettoyage, de libération, de plénitude, de sécurité, de repos, de paix etc., qui remplacent de façon soudaine l’espèce de tétanie inconsciente qui maintenait l’organisme tout entier sous tension et sous pression. Toutes les tensions qui lâchent fabriquent alors une dé-pression énergétique qu’il importe de ne pas confondre avec une dépression d’origine psychologique qui n’existe pas dans ce cas.
3°) Aïe! je suis vivant(e): «Oui, mais c’est presque pire qu’avant!» En effet, une réaction qui peut se produire après une séance de MCM est l’apparition de courbatures. Il s’agit d’un effet visible et direct de l’interruption du Stress Longue Durée qui en dit long sur les crispations fondamentales de l’organisme. Plus les courbatures durent longtemps, et plus elles signalent à quel point l’organisme a été contracté, tendu etc., Avant le MCM, l’anesthésie fonctionnait de façon que l’esprit conscient ordinaire continue à ne pas prendre conscience qu’il y avait un vrai problème de fond à régler; l’absence de sensation se corrèle parfaitement à l’ignorance.
4°) Retour aux ornières: cependant, au bout de quelques jours ou de quelques semaines, les ‘nuages’ de conscience reviennent. Rien d’étonnant à cela. C’est le moment que choisit en principe quelqu’un pour m’appeler et me dire «Vous savez, je vais de nouveau mal». Sous entendu: «Je croyais pourtant que ça avait marché, eh bien non, ça n’a rien fait!». Eh bien si, ça a marché. Il se trouve simplement que les fonctionnements cellulaires et les configurations mentales ont une tendance biologique naturelle à retrouver le plus vite possible les ornières anciennes et ils se remettent en place dès que possible dans leur rythme antérieur au massage. Sauf entraînement régulier qui pourra différer puis empêcher cette remise en place aussi discrète qu’insidieuse, l’Inquisition Intérieure (et son système d’interprétations morales) reprend alors sa puissance au même rythme que les modifications cellulaires et régule tout cela sous l’étiquette ‘normal’ pour banaliser l’expérience et la renvoyer au plus tôt vers l’inconscience.
5°) Entraînement: la séance de Massage du Calme Mental® réorganise, harmonise, tranquillise, soulage, mais n’a rien à voir avec un miracle. Elle ne se contente pas de lever les interdits de type anesthésique, ni seulement de mettre un terme soudain aux processus organiques de Stress Longue Durée, mais elle permet aussi à la conscience corporelle de fonctionner au présent sans les perturbations et sans les bavardages mentaux ordinaires. Dans la mesure où le Travail Intérieur met en contact direct avec la réalité brute, il permet d’apprendre à vivre au mieux ici-maintenant sans addictions et sans anesthésie. Il s’agit d’un vrai travail de conscience, un entraînement qui doit durer et se répéter suffisamment pour inscrire cet apprentissage vivant comme un réel savoir-faire aux niveaux biologiques, corporels et silencieux.
6°) Étonnement: L’organisation mentale est alors en mesure de prendre conscience4 d’une nouvelle certitude expérimentale: elle est capable de fonctionner comme cela, d’une façon agréable et dépolluée. Et l’esprit ordinaire trouve cela tellement intéressant qu’il s’installerait volontiers dans ce nouvel état dont il est prêt à tirer tous les bénéfices sans avoir à en payer le prix, comme l’indique le Conte soufi qui va terminer cette page. L’esprit ordinaire aimerait beaucoup encaisser le repos et la tranquillité sans avoir à apprendre ni à s’entraîner, mais cela ne se passe pas ainsi. Manger les fruits de l’Arbre de la Connaissance sans devoir quitter le Jardin d’Eden ne semble pas possible. C’est pourquoi j’appelle ce fonctionnement mental (regret/tristesse) qui suit les «bonnes expériences» qui s’arrêtent le «Syndrome du Paradis Perdu».
7°) Le beurre, l’argent du beurre… Une histoire soufie met en scène Mullah Nasruddin qui exerçait alors le métier de Maître d’école et qui se désespérait parfois du manque d’application de ses petits et grands élèves. Il s’installe un jour sur la place du village et commence à hurler pour faire venir tout le monde autour du lui. Lorsque tout les villageois sont rassemblés, ils lui demandent: – Que t’arrive-t-il, Nasruddin? À quoi riment cet affolement et cette réunion? – J’ai beaucoup réfléchi ces derniers temps, répond le Mullah, et j’ai quelque chose d’important à vous demander. Est-ce que cela vous intéresse d’obtenir la connaissance sans avoir besoin d’étudier, l’habileté sans avoir besoin de pratiquer, la tranquillité sans avoir besoin de comprendre comment faire et la richesse sans avoir besoin de travailler? – Bien sûr! approuvent les villageois. Cela nous intéresse même beaucoup! Peux-tu faire cela pour nous tout suite? – Certes non, répond Nasruddin. Mais je voulais seulement m’assurer de votre intérêt pour ce genre de choses. En tout cas, soyez certains que si je parviens à trouver quelqu’un qui sait réaliser cela, je ne manquerais pas de vous en tenir informés!
[1] Voir Mode d’emploi n°3: Prendre Conscience
[2] Registre de perception (≈ niveau d’abstraction, terme spécifique de Sémantique Générale)
[3] Ces chiffres grossiers issus des récentes Sciences Cognitives sont destinés à fixer des idées schématiques, pas à fournir des statistiques.
[4] Voir Mode d’emploi n°3: Prendre Conscience
[5] Voir Leçon 19: J’aime–ça–j’aime-pas-ça (Je-veux-je-veux-pas)